Avant le jour.


Quand tu es tout petit
Tu attends d'être grand.
Puis, quand tu es grand
Tu attends d'avoir l'âge.
Puis quand tu as l'âge
Tu attends ton tour.
Quand arrive enfin ton tour,
On te demandes d'attendre,
Et pendant que tu attends
Tu t'assieds et tu rêves,
Et puis de temps à autre tu meurs
En ayant rien vaincu.
Tu t'assieds et tu rêves
Et puis parfois tu implores
Ou parfois tu pries,
Mais personne ne distingue plus
Dans ces brouillards jaunes
Les justes différences
Entre la pitié et la révolte.
Tu te dis
Que tout ce temps qui s'écoule dans tes veines
Tu le perds en traînant
A Paris sur les grands boulevards
Poursuivant une ignorance
Qui ne te mène nulle part.
Tu écoutes les temps
Tu observes les temps
Qui passent et qui hurlent
Et tu te dis
Que tu n'es que racine.
Tu découvres quand tout se calme un instant
Que ce n'est que toi qui hurle,
Et tu te dis
Que tu n'es que douleur de racine.
Tu prends alors ta vie comme elle vient
Et puis la mort aussi,
Puis tu les laisses partir
Tout comme elles sont venues
En robe blanche de marié.
Et tu te dis
Quelle heure es-tu ?
Quel temps fais-tu ?
Soldat dans l'ombre, soldat de la beauté
Pourquoi te confonds-tu toujours
Dans ces brouillards jaunes
Et dans la foi des temps ?
Tu regardes finir cette nuit
Pâteuse et inconfortable
Et l'aube apparaît
Derrière un bol de chicorée
Un petit béret sur la tête
Et une musette sur l'épaule.
La ville paraît renaître
Et sortir d'un cocon feutré
Ou elle eut rêvé de soie.
Alors, tu fais attention
De bien rester modeste
Comme un singe puissant
Derrière un rideau de verre,
Car tu sais très bien
Que ce jour ne suffira pas à sa peine
Ni aux peines égarées,
Car tu sais très bien
Que ce jour en s'éteignant
Sera un peu une défaite.
Tu regardes tes mains pleines
D'innocence, de peinture à l'huile
Et surtout d'encre bleue
Derrière ce comptoir doré
Et tu chantes pour cette aube
Avant qu'elle ne disparaisse
A ta peine Étienne !!
Et tu te dis
Que la foi est au mains
Et que les cris aux yeux,
Que la foi est aux nuits
Et tout le reste ailleurs.
Tu écoutes des rires si chauds
Qu'ils semblent un instant
Sécher les larmes d'enfants.
Tu écoutes des guerres qui grondent
Dans des lointains à coté
Et tu voudrais que ce vent froid
Emporte ta frayeur.
Tu écoutes la mort qui tousse aux portes
Et sur les quais du métro,
Et tandis que la lumière résiste
Et que l'aube se cramponne,
Entre le vide et le temps qui passe,
Une joie apparaît pendant une fraction.
Elle envahit tout ton cSur
Tellement las d'hier
Mais tellement large d'aujourd'hui.
Tu peux imaginer enfin
Quelques choses pour demain en rêvant,
Et ce rêve est doux
Puisqu'il naît avec l'aube.


 

© FFDSP 2003